Quand je serai passé

 

Quand je serai passé, dépassé, trépassé,

Quand le bon Dieu m'aura signifié mon congé,

Je pressens que tu diras : « Ouf ! 

Après cinquante années tantôt de vie commune,

Comme une âpre bataille, entre amour et rancune,

Je suis délivrée du pignouf »...

 

Certes, tu n'auras plus à chauffer la pitance,

A supporter les cris, à subir les avances,

De cet encombrant amoureux,

Mais il ne faudra pas te croire cependant,

Débarrassée de moi, ma belle, pour autant,

J'ai de beaux projets pour nous deux !

           

Grâce à cette manie, que souvent j'ai raillée,

De dire : « Il est toujours joli le temps passé »,

Tout en te défiant du présent,

Dans la semaine après que je serai parti, 

Tu vas me louer plus que de toute ma vie,

En manière d'acquittement.

 

Quand, ton deuil achevé, j'aurai un remplaçant,

Je blâmerai c'est sûr, le choix de ce galant...

Mais ce qui me consolera, 

C'est de penser qu'il va rondement te lasser,

Au point que... pourquoi pas ? (j'ose à peine y penser),

Ma mie, tu me regretteras...

 

Quand tu t'endormiras, craintive en tes pénates,

De ton ange gardien, je graisserai la patte, 

Pour qu'en tes songes, il m'insinue,

Et que je sois enfin celui dont tu rêvais...

Peut-être diras-tu : mieux vaut tard que jamais,

Peut-être seras-tu émue...

 

Les années sont passées, et le temps joue pour moi,

Car il a tamisé ta mémoire et parfois,

Mes faiblesses, tu les oublies...

Et même certains jours, indécise, tu penses,

« En toutes les années de ma longue existence,

Peut-être n'ai-je aimé que lui. »

 

Même s'il s'agit là d'une légère erreur,

(Note qu'à mon avis, ce n'est pas sûr, d'ailleurs),

(Ce qui finalement n'est pas certain d'ailleurs),

Moi, je serai bouleversé...

Sur ta peau frissonnante, alors tu sentiras,

Comme un tendre baiser venu de l'au-delà,

Une caresse du passé.

 

Quand je serai passé, je n'aurai pas fini

De t'aimer.