Foutue chanson

 

Chaque fois que j’entonn' cette foutue chanson,

L’inquiétude me met dans mes petits chaussons,

Oh, pour une broutille, un rien, mais je dois dire

Qu’il m’arrive d’omettre, un mot, un vers, ou pire :

Un couplet… Parfois deux… Voir' le chant tout entier…

Disons-le, je ne sais jamais quoi raconter !

Ainsi pour éviter le ratage, le drame,

Et tenir trois couplets, j'improvise, je rame...

 

Si j’étais l’un de ces rimeurs de quatre sous

Qui croient poétiser en entortillant tout,

De « La reine des ombre' et son char vaporeux »

Ils font tomber la nuit sur le quidam honteux...

Je vous délayerais de la simplicité

Jusqu’à n’y rien comprendre, et vous m’applaudiriez…

Le nourrisson des mus's, c’est la porte à côté…

Disons-le, je ne sais jamais quoi raconter.

 

La belle aubaine si j’avais au moins pensé

A naître loin d'ici, et puis à m’exiler,

Chassé par le chômage, la guerre ou la famine,

Je ne tarirais pas sur ma chère chaumine,

Mon village perdu, ma lointaine patrie,

Mes copains disparus, ma douce et tendre amie…

N’y pensons plus, j’ai vu le jour dans le quartier,

Disons-le, je ne sais jamais quoi raconter.

 

Connaître le succès après la quarantaine,

Rencontrer la fortune après longtemps de gêne,

C’est la verve assurée, la veine inespérée,

On parle d’années noire' et de vache enragée,

De jeunesse perdue, de masure sordide,

Mais « C’était le bon temps », finit-on l’œil humide…

En attendant la gloire et ses facilités, 

Disons-le, je ne sais jamais quoi raconter.

 

Chaque fois que j’achèv’ cette foutue chanson,

C’est toujours sans l’avoir commencée, nom de nom…