Dis-nous
Dolorès
La
vieille Dolorès, sorcière de mes voisines,
Disait
aux jeunes filles, par l'amour étourdies :
Je
vais vous révéler, mes jolies bécassines,
Comment
vous attirer puis garder un mari.
Oui,
vieille, je le suis, mais je retiens les hommes ;
Et
quand j'aurai cent ans, le menton sous le nez,
Plus
une seule dent, cela sera tout comme
Pour
le vieux qui siéra à mon âge avancé.
La
plupart d'entre vous mourront le cœur brisé
D'avoir
toute leur vie méconnu la manière
Dont
nous aiment les hommes (bien que persuadées
De
les connaître à fond, ainsi qu'un livre ouvert !)
Or,
voici le secret : soyez plusieurs en une,
C'est
cela la clef d'or, le joujou qui enjôle,
Soyez
toutes les femmes, ou mieux, soyez chacune,
Et
vous empêcherez que sa flamme flageole.
Dis-nous
Dolorès, apprends-nous
A
bien déployer nos atouts…
Soyez
comme un jardin de mille fleurs diaphanes,
Mais
ne lui laissez voir que la dernière née,
Trop
peu éclose pour qu'il craigne qu'elle fane,
Trop
incertaine pour l'imaginer fanée.
De
ce jardin, chassez sans cesse ce serpent
Qu'est
la banalité ; et ne laissez jamais
Votre
amoureux cueillir insoucieusement,
De
fleurs qu'il ne voit plus son ultime bouquet.
Dis-nous,
savante Dolorès,
Comment
s'attacher sa tendresse ?
Ne
soyez avec lui jamais trop familière,
Habillez-vous
de voiles, de parures sans fin,
Afin
qu'il croie toujours écarter la dernière
Mais
qu'il en trouve une autre, à chaque lendemain.
Donnez,
donnez encor, sans le blaser jamais,
Qu'il
vous quitte affamé de bientôt retrouver
La
fleur presque cueillie mais jamais tout à fait,
Dont
il goûte au nectar sans jamais l'épuiser.
Dis-nous
Dolorès infaillible,
Connais-tu
l'homme irrésistible
Et
bon assez pour qu'on consente
A
cette existence affligeante ?
D'ici
que tu ne l'aies trouvé,
Nous
envisageons de rester
Ecervelées…